Est-ce que cette situation vous rappelle quelque chose?
La journée de travail est très longue. Vous enchaînez les réunions, en passant parfois par votre bureau pour terminer quelque chose sans y parvenir, parce que des coups de téléphone incessants et les diverses demandes de la part de vos collègues vous interrompent.
Vous survolez les messages reçus sur votre cellulaire et vous tombez sur un courriel qui a l’air important, mais il est long. Du bout du doigt, vous faites défiler le texte, paragraphe après paragraphe, pour identifier l’enjeu du message. Vous décidez de passer à autre chose et d’y revenir plus tard, quand vous aurez du temps à consacrer à ce qu’on vous demande.
Et celle-ci?
Votre collègue vous envoie une liste de demandes qu’il veut vous faire valider, pour vérifier qu’il n’a rien oublié. Vous vous dites : « D’accord, ce n’est pas grand-chose. Ça devrait prendre quelques minutes ». Le document est une feuille de calcul. Vous l’ouvrez et la réalité vous frappe brutalement en plein visage : le tableau contient 238 lignes et 22 colonnes. Ouah! Par où commencer?
On appelle cela la surinformation. Elle ronge vos journées. Elle vous fait manquer des détails importants. Elle pose des obstacles en travers de votre route vers la réussite.
À titre personnel, c’est une mésaventure gênante lors d’une fête de Noël qui m’a poussé à chercher une solution à ce problème.
Comme copropriétaire d’une firme de conseil, je m’assure que nous tenions chaque année un souper et une fête de Noël pour le personnel et leurs conjoints ou leurs proches. D’accord! Ce n’est pas moi qui organise cet évènement. Mon partenaire et moi avons une assistante, qui gère cela bien mieux que nous. Lors d’une journée très occupée début décembre, j’ai reçu un courriel de l’administrateur de notre bureau principal contenant les détails de l’évènement. Le courriel décrivait le thème, le lieu, l’horaire, l’emploi du temps, lançait quelques blagues, des faits amusants, etc.
Enfin, le jour J, j’ai pris ma voiture et j’ai conduit 200 kilomètres pour me rendre sur place. En arrivant, j’ai découvert que tout le monde avait amené un cadeau! Et moi, vice-président principal, j’étais arrivé les mains vides.
J’ai demandé à notre assistante si j’avais manqué quelque chose. « Tu n’as pas reçu le message? », me répondit-elle.
Classique! Reléguée à la fin du courriel, une note disait simplement : « Nous organisons un échange de cadeaux, amenez donc un cadeau amusant d’une valeur maximale de 10 $! ». Le problème était bien sûr que je n’avais pas suffisamment fait défiler le message pour lire cette partie.
(J’ai eu beaucoup de chance : malgré l’heure tardive, une boutique de l’autre côté de la rue était encore ouverte et j’ai pu acheter deux petites bouteilles de vin de glace dans un emballage cadeau, pour seulement 9,99 $! Ça m’a sauvé la vie et a fait rire le personnel!)
Cela m’a fait réfléchir. Dans le cadre de nos projets, nous rencontrons régulièrement ce genre de problèmes de communication. Puis, je me suis rappelé qu’au début de ma carrière de consultant, j’avais lu quelque part que lorsque les entreprises avaient décidé de standardiser les numéros de téléphone, elles avaient réfléchi au nombre de chiffres que la plupart des gens pourraient mémoriser efficacement. La réponse était sept. C’est pour cela qu’aujourd’hui, les numéros se composent de sept chiffres (certes, avec l’indicatif régional à trois chiffres, mais oublions cette information pour le moment).
J’ai commencé à appeler ça la « règle du numéro de téléphone ». Elle va comme suit :
« Puisque la plupart des gens peuvent efficacement mémoriser ou visualiser des suites contenant jusqu’à sept éléments, il est utile de s’entraîner à regrouper les idées et les différents éléments en groupes de sept environ. »
Par curiosité, j’ai commencé à me renseigner, j’ai cherché d’autres utilisations applicables à ma pratique de la gestion de projet. Peut-être que cette « règle du numéro de téléphone » pouvait nous aider à améliorer notre façon de communiquer dans le cadre des projets et à économiser bien plus qu’une visite à la boutique de cadeaux.
1.Le chiffre magique sept
« … Et le chiffre magique 7? Et les Sept Merveilles du monde, les sept mers, les sept péchés capitaux, les sept filles d’Atlas, les Pléiades, les sept âges de l’homme, les sept portes de l’Enfer, les sept couleurs primaires, les sept notes de musique et les sept jours de la semaine? »
George A. Miller
Université Harvard
The Magical Number Seven, Plus or Minus Two
The Psychological Review, 1956, vol. 63, pp. 81-97
Dans son article de 1956, George Miller s’étend sur les « stimuli », la « variance », les « unités », la « reprogrammation » et autres termes techniques. Toutefois, à la fin, il s’abstient de donner son avis sur la raison pour laquelle ce nombre apparaît sans cesse, partout.
Selon moi, en précisant toutefois que je n’ai aucune preuve scientifique pour soutenir mon idée, cela a rapport avec l’anatomie. Je suis arrivé à la conclusion que cela serait peut-être lié au fait que nous naissons avec dix doigts et que nos cerveaux ont évolué pour reconnaître « 10 » en un instant. Ou peut-être est-ce quelque chose de plus profond, mais je laisse aux neurobiologistes le soin de l’expliquer.
On trouve de nombreuses preuves que ce numéro 7 « magique » est très puissant. Les experts en marketing sont en fait très habitués à l’utiliser, notamment les rédacteurs et les éditeurs. Pourquoi pensez-vous que les guides pratiques et les livres d’autoperfectionnement portent des titres tels que « Les Sept habitudes des gens efficaces » ou « Sept étapes vers le bonheur »? (Bon, le titre de ce livre est « Les clés de notre succès : 25 leçons de nos meilleurs gestionnaires de projets ». C’est l’exception qui confirme la règle… Mais on nous a demandé que chacun de nos chapitres se compose d’environ « 7 pages ».)
Si vous voulez vous convaincre que c’est vrai, essayez cette expérience simple avec des amis ou des membres de votre famille (ils doivent être assez vieux pour compter sans l’aide de leurs doigts!). J’ai tenté une expérience similaire avec des photos sur une présentation, et les résultats furent impressionnants.
- Posez 4 pièces différentes sur une table (10 sous, 25 sous, 1 dollar et 2 dollars)
- Posez un morceau de tissu ou de carton sur les pièces
- Rassemblez vos amis autour de la table
- Demandez-leur de faire bien attention, car vous vous apprêtez à révéler quelque chose
- Soulevez le tissu (ou le carton) pendant une seconde et reposez-le
- Demandez-leur ce qu’ils ont vu
Compilez maintenant les résultats Combien de personnes ont retenu le bon nombre de pièces? Combien de personnes ont retenu le bon type de pièces?
Essayez à nouveau en variant le nombre et le type de pièces à chaque fois, et portez attention au moment où les gens commencent à « deviner ». Ma prédiction est la suivante : généralement, les gens peuvent se souvenir de 7 à 9 pièces. Ensuite, ils commencent à deviner et les résultats ne sont plus fiables. Comment pouvons-nous appliquer cela à la gestion de projet? Avec les années, j’ai trouvé quatre façons très concrètes d’appliquer ce principe de mémorisation par bloc à la gestion de projet. Je les partage avec vous ici.
2.Le principe de mémorisation par bloc
Ce phénomène est aussi connu dans le domaine de l’éducation sous le nom de granularisation. Des années plus tard, quand j’ai commencé à développer et donner des cours de gestion de projet, j’ai lu que la meilleure façon de concevoir une diapositive avec PowerPoint est de lister 7 points au maximum. Encore le chiffre 7!
Pour résumer, le principe de mémorisation par bloc conseille d’éviter :
- Plus de 7 puces sur une diapositive
- Plus de 7 puces sur une liste à puces dans un document
- Plus de 7 bulles sur un diagramme à bulles
- Plus de 7 colonnes dans une feuille de calcul
- Plus de 7 secteurs dans un diagramme à secteurs
(En passant, avez-vous remarqué que ma liste à puces dans l’exercice avec les pièces comportait seulement 5 points? Et que celle-ci a également 5 points?)
3.Structure de répartition du travail
Comment le principe du chiffre 7 s’applique-t-il à la SRT? Tout simplement :
« Toute SRT doit être conçue de telle façon que, dans aucune de ses branches, il n’y ait jamais plus de 5 à 10 livrables ou travaux ».
Donc, la SRT suivante est correcte :
Mais celle-ci ne respecte pas la règle :
On remarque que les deux contiennent 14 travaux (les cases en bas de chaque branche), mais on le comprend plus facilement avec le premier modèle qu’avec le second. Il faut vraiment compter combien de cases contient la deuxième branche du second SRT. C’est le pouvoir du principe de mémorisation par bloc : il est beaucoup plus simple et fiable de communiquer une SRT ainsi.
C’est également utile lors de la modification d’une SRT. Les collègues remarqueront plus aisément s’il manque quelque chose ou si une information apparaît en double si le diagramme respecte la règle du numéro de téléphone.
4.Documents écrits
La même règle s’applique à tous les documents. En tant que gestionnaires de projet, on nous dit que nous passons ou devrions passer jusqu’à 80 % de notre temps à communiquer. Si c’est le cas, il vaut mieux s’assurer que les gens comprennent ce que nous tentons de communiquer. Si la communication n’est pas efficace, cela peut entraîner des erreurs et des incompréhensions, et donc une perte de productivité au niveau personnel ou de l’équipe.
Écrire des paragraphes tels que celui-ci est correct pour un livre blanc, un article ou un livre. Mais pour des documents techniques, gardez en tête cette remarque qu’on m’a un jour faite :
« Les gens ne lisent pas, ils survolent. »
C’est vrai, nous ne lisons pas. Sauf lorsque nous nous attendons à ce que l’auteur nous raconte une histoire, comme celle que j’écris en ce moment. Si on ne s’attend pas à une histoire, on se contente de scanner le texte pour trouver des schémas familiers, des mots-clés et des idées.
Il y a de nombreuses raisons à cela. C’est notamment dû au fait que lire sur un écran d’ordinateur est fatigant pour les yeux et plus lent que lire sur papier (jusqu’à 25 % plus lent selon certains). De plus, nous avons l’habitude de surfer sur Internet et de suivre le rythme de la vie moderne.
Si vous voulez une preuve supplémentaire que nous ne lisons pas tout systématiquement, avez-vous déjà reçu un courriel contenant ceci :
« Sleon une édtue de l’Uvinertisé de Cmabrigde, l’odrre des ltteers dans un mot n’a pas d’ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C’est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe mias le mot cmome un tuot. »
C’est drôle que notre cerveau soit capable de déchiffrer cela, non?
Le même principe s’applique aux paragraphes. Le cerveau lit un bloc de texte et tente d’en repérer les schémas et les idées. Plus le paragraphe est long, plus il y a de chances que le cerveau le comprenne mal.
Tentez d’écrire des listes courtes avec des points d’une ou deux lignes.
5.Diagrammes de Gantt
Régulièrement, j’entends des gens se plaindre de devoir travailler avec des outils tels que Microsoft Project ou Primavera P6.
« Ces outils sont beaucoup trop compliqués pour nous. Je ne comprends pas ce que tous ces chiffres veulent dire! Est-ce que quelqu’un pourrait créer un outil plus simple? »
Toutefois, en regardant de plus près, j’ai réalisé que la plupart des plaintes venaient du même type d’utilisateurs. C’était des personnes qui rencontraient ces outils pour la première fois et devaient travailler avec des organisateurs très expérimentés qui n’hésitaient pas à imprimer des diagrammes de Gantt contenant jusqu’à 14 ou 20 colonnes de données. Ces dernières intègrent toutes les informations possibles : l’identifiant de la tâche, les dates au plus tôt et au plus tard, la valeur acquise, l’IPC, le coût du travail, la marge totale, les ressources, etc.
En tant qu’utilisateurs expérimentés, ils pensent « plus je mets d’informations sur la même page, moins je passerai de temps à les chercher ».
Mais les personnes qui reçoivent ces rapports ne sont pas programmées pour lire de telles informations. Il s’agit pour elles de surinformation.
Si vous voulez faire passer un message de façon claire et limpide, tenez-vous-en à 5 ou 10 colonnes, pas plus. Il faut savoir tirer parti de la simplicité.
6.Courriels
Enfin, revenons-en à notre ami au début de cette histoire : le courriel! Tous ces longs courriels que nous nous envoyons, si longs que nous ne prenons pas réellement le temps de les lire. Nous survolons les paragraphes à la recherche des informations que nous nous attendons à trouver. Nous manquons des détails importants, car ils sont noyés dans un océan de jargon et de mots inutiles. C’est dans ces cas-là que je sens que la règle du numéro de téléphone prend tout son sens.
Voici donc le principe de mémorisation par bloc appliqué aux courriels, pour une communication efficace (il s’ajoute évidemment à toutes les règles de base telles qu’adapter le message à son destinataire, éviter de « répondre à tous » et éviter les lettres majuscules).
- Donnez au message un objet expliquant exactement ce que vous attendez comme réponse, ou décrivant l’objectif du courriel. Rédigez l’objet du message comme vous écririez le titre d’un article de journal.
- Commencez le courriel par une salutation générale. Ce paragraphe est poli, mais on s’en doute, n’attire pas beaucoup l’attention. Il ne faut donc rien inclure d’important dedans.
- Écrivez le corps du courriel, le contenu important, comme une série de 5 à 10 points, pas plus. Chaque point ne doit pas s’étendre sur plus de 2 ou 3 lignes.
- Si vous avez du mal à rédiger votre courriel sous ce format ou si vous dépassez les 5 à 10 points, prenez votre téléphone!
Le dernier point indique que ce que vous tentez de communiquer est trop complexe pour être expliqué dans un courriel. Dans ce cas, vous devez envisager une conversation en personne, ou au moins un coup de téléphone. Souvenez-vous que même une conversation téléphonique s’accompagne d’un retour instantané et de signaux non verbaux, qui malheureusement ne sont pas transmis par courriel.
7.Pour résumer
Souvenez-vous que le cerveau humain ne peut comprendre des informations de façon fiable que lorsqu’elles sont composées de groupes d’environ sept éléments. Souvenez-vous de ceci :
- En développant une SRT : à chaque niveau, tentez de limiter le nombre d’objets à 7 par branche;
- Documents écrits : limitez vos listes à 7 points d’une ou deux lignes chacun;
- Diagrammes de Gantt : évitez les feuilles de calcul contenant plus de 7 colonnes
- Courriels : Présentez-les sous forme de liste à points. Si vous ne pouvez pas vous en tenir à ce format, utilisez le téléphone.
Je sais que ce conseil m’a permis d’éviter de nombreuses situations déplaisantes. Je suis certain qu’il vous sera également utile dans diverses situations. Peut-être même que vous convertirez vos collègues et qu’à leur tour, ils arrêteront de vous envoyer ces courriels interminables et pénibles à lire.
Malheureusement, cela n’a pas d’influence sur les pourriels et les chaînes de lettres! Peut-être dans notre prochain livre.
Vous pouvez trouver ce chapitre et d’autres contenus fascinants dans le le livre suivant:
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